Un selfie avec Anton Tchekhov de Dominique de Rivaz (2022)
Vent d’Est
Partageant sa vie entre Berne et Berlin, avec un cœur tourné vers l’Est, et une passion pour l’imaginaire, Dominique de Rivaz est sans doute l’une des figures les plus importantes du cinéma et de la culture en Suisse. La Cinémathèque suisse est très heureuse de l’accueillir pour une rétrospective de son travail de réalisatrice à l’occasion de la première de son nouveau film, “Un selfie avec Anton Tchekhov”.
Née en 1953 à Zurich, d’origine à la fois valaisanne et italienne, Dominique de Rivaz a connu très tôt la célébrité: en 1978, participant à l’émission La Course autour du monde, son visage et surtout ses films courts tournés en Super 8 font, pendant plusieurs mois, les belles heures des télévisions francophones. A son retour, elle travaille au service de presse du CICR et au service photo du magazine L’Hebdo. Mais, contraire- ment à certains de ses collègues, qui, course terminée, ont persévéré dans le journalisme, Dominique de Rivaz retourne derrière la caméra.
Aélia de Dominique de Rivaz (1985)
En 1985, elle signe son premier court métrage, “Aélia”, une fiction en noir et blanc située au Moyen Âge qui raconte l’amour interdit d’une femme éprise d’un gisant de granit. Ce film «onirique, mystique, dont chaque plan est une peinture, une composition de chair et de pierre» (pour Les Cahiers du cinéma) va faire le tour du monde des festivals et remportera le prix du public au Festival de Clermont Ferrand. Après un documentaire consacré à “Georges Borgeaud, elle signe une deuxième fiction courte”, “Le Jour du Bain”, présentée au Festival de Locarno en 1995, saisissante évocation du massacre des juifs ukrainiens à Babi Yar, en 1941, vue à travers le destin d’une femme, Lena, incarnée par Ingvild Holm.
Le Jour du bain de Dominique de Rivaz (1994)
Puis, elle retourne au documentaire en cosignant avec Jacqueline Veuve une Balade fribourgeoise (1997), suivie par un hommage à “Jean Rouch coréalisé avec Lionel Baier, Mon père c’est un lion” (2002). Elle se lance alors dans l’aventure de son premier long métrage de fiction, “Mein Name ist Bach”, film historique et en costumes où elle raconte la rencontre en 1747 entre le compositeur vieillissant et le jeune roi de Prusse Frédéric II. Un duel psychologique et musical entre deux monstres, et une guerre des clans entre musique et pouvoir, traités non sans humour, qui remporte le Prix du cinéma suisse en 2004.
Vadim Glowna et Jürgen Vogel dans Mein Name ist Bach de Dominique de Rivaz (2003)
Elle revient ensuite au documentaire en signant, en 2005, un émouvant hommage à Jacqueline Veuve (Chère Jacqueline). Suivi, en 2008, par son deuxième long métrage de fiction, “Luftbusiness”, récit faustien de trois jeunes marginaux qui vendent sur internet leur âme, et qui vaudra à l’acteur Dominique Jann un Prix du cinéma suisse. Suivront un portrait pour la télévision du cinéaste Claude Goretta, ainsi que, en 2013, l’essai poétique tourné dans le Grand Nord russe, Elégie pour un phare.
Dominique de Rivaz poursuit en parallèle une remarquable carrière de photographe et d’auteure, avec plusieurs ouvrages publiés aux éditions Buchet-Chastel, Zoé ou Noir sur Blanc, dont récemment “Kaliningrad, la petite Russie d’Europe”, magnifique témoignage sur cette enclave russe en Europe, située, aujourd’hui comme hier, au centre de grandes tensions géopolitiques.
«Ich sterbe…»
Ces deux mots ont fait bifurquer mes projets de cinéaste. Les derniers mots qu’Anton Tchekhov prononça à l’instant de mourir. Deux mots qu’il énonce, non pas en russe, sa langue maternelle, mais en allemand, une langue dont il ne connaît que les rudiments. Il a 44 ans.
Je dois me mettre en route vers ces deux mots, mettre mes pas dans ceux d’Anton Tchekhov, pour son ultime voyage. Ultime provocation douce- amère, il dit: «Aller mourir là-bas plutôt que d’avoir les journalistes dans mon jardin». Ou bien attend-il, sans se l’avouer, un miracle de la médecine allemande?
La structure polyphonique de cet essai est en adéquation avec la structure même des pièces de Tchekhov: de nombreuses voix s’entrelacent, se répondent ou restent en suspens, laissant place au silence.
L’esprit des pièces et des récits d’Anton Tchekhov, de l’univers citadin ou campagnard qu’il décortique crûment, est encore le même aujourd’hui. Sa radiographie de la société et de la mesquinerie humaine, on la rencontre tous les jours en ce siècle qui est le nôtre. Lire Tchekhov c’est comprendre la Russie d’aujourd’hui. Filmer Tchekhov, c’est le remercier.
Les longs et moyens métrages
La filmographie de Dominique de Rivaz se caractérise par les liens qu’elle entretient avec d’autres arts comme la littérature, le théâtre ou la peinture. Véritable touche-à-tout, la cinéaste intègre ses intérêts multiples à chacun de ses films, qu’il s’agisse de fictions ou de documentaires.
Cette sélection de longs et moyens métrages témoigne également de la diversité des genres cinématographiques auxquels elle s’est essayée: film d’époque (“Mein Name ist Bach”), fable philosophique (“Luftbusiness”), portraits filmés d’artistes ou encore essai cinématographique (“Elégie pour un phare”).
Les courts métrages
Faisant écho à sa production de longs et de moyens métrages en ce qu’ils jouent avec la frontière entre documentaire, essai filmique et fiction, les courts métrages de Dominique de Rivaz accordent tous une place centrale à la poésie et à la mémoire.
Un récit empreint de mysticisme (“Aélia”), un hommage à des lieux disparus (“Surmatants”), un portrait de Jean Rouch, un essai poétique (“Bubble Wrap”) ou encore un hommage aux victimes de la Seconde Guerre mondiale (“Le Jour du bain”) constituent différents exemples de l’importance du format court dans l’œuvre de la cinéaste.